Le V3 de 2,60 mètres de long pour un calibre de 152mm, avait
une portée de 130 kilomètres et pouvait atteindre la vitesse
incroyable de 1.500 m/s. Il était propulsé par un canon
à haute pression fait de quarante sections (127 mètres
de longueur) et de vingt-huit chambres à poudre réparties
le long du tube. Les essais furent estimés comme un succès
quoique le tube du canon éclatait une fois tous les trois coups.
Au début 1943, le « canon de Londres », qu’Hitler
appelait la « pompe à haute pression » (ou HDP soit
Hochdruckpumpe ), était fortement appuyé par le ministre
Allemand de l’industrie et de l’armement, Albert Speer.
C’est d’ailleurs lui qui conçut l’idée
d’un bunker souterrain pour abriter jusqu’à 50 de
ces canons sur la côte française du Pas-de-Calais. Même
la cadence de tir était prévue : chaque canon devait tirer
toutes les cinq minutes, soit prés de 600 projectiles par heure
dès le milieu de 1944.
L’arme ne pouvait être installée que sur la partie
de la côte qui s’avançait le plus en direction de
l’Angleterre. Le site choisi devait être une colline arrondie
de plus de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le terrain
devait être constitué par une roche résistante.
En outre, sa situation devait être propice en matière de
transport.
Deux sites furent mis en chantier mais celui de Moyecques, plus à
l’ouest, moins enterré, fut détruit dés les
premiers bombardements et abandonné.
La construction de la base de Mimoyecques nécessita des travaux
considérables et l'utilisation d'une main d’œuvre
importante recrutée par les nazis au titre du travail obligatoire.
Plusieurs milliers de déportés de 17 nations différentes
(Juifs, Allemands condamnés de droit commun ou de droit militaire,
Polonais, Espagnols, Italiens, Belges, Hollandais, Français,
etc...) furent enrôlés de force dans le percement d'un
tunnel de plus de 600 mètres et de cinq galeries latérales,
sous la direction de 450 mineurs de la Rhur qui dirigeaient la conduite
du chantier à plus de 100 mètres sous terre.
La partie essentielle de l’installation était constituée
par les galeries inclinées. Quatre galeries furent construites
dans une première étape. Il est probable qu’une
cinquième galerie était prévue en réserve.
Ces galeries étaient inclinées selon un angle de 51 degrés
et mesuraient 150 mètres de longueur. Elles furent creusées
en direction de l’objectif. En fait la direction de chaque galerie
était légèrement différente, afin d’atteindre
un front élargi. La dispersion très importante des projectiles
non stabilisés suffisait largement à assurer l’effet
recherché en profondeur et en largeur.
Les galeries inclinées mesuraient environ 2,50 mètres
de large et 3 mètres de haut, voûte comprise, avec un sol
disposé en escalier. C’est au milieu de la galerie que
la rampe de tir devait être montée. Chaque galerie abritait
six canons ; la puissance de feu assignée à l’installation
était donc, dans une première étape, de 24 bouches
à feu, ce qui représentait une puissance considérable.
Pour l’alimentation des canons, une plate-forme de chargement
était prévue tous les trois ou cinq mètres. C’est
là que devaient se tenir les équipes de servants. Leur
tâche allait consister à charger en permanence les gargousses
dans un ordre déterminé. Un téléphérique
fixé à la voûte de chaque galerie était prévu
pour le transport des charges.
Compte tenu de la longueur des tubes, il devait y avoir dans chaque
galerie inclinée 30 ou 50 plate-forme de chargement. Avec quatre
galeries, cela représentait donc 120 ou 200 plate-formes qui
auraient été servies jour et nuit. Avec la relève
cela représentait au minimum 500 servants. Venaient s’y
ajouter les équipes de transport, la direction du tir et le personnel
auxiliaire, ce qui aurait porté l’effectif total à
un minimum de 1200 hommes.
Pour le personnel, de vastes locaux étaient prévus au
palier à 30 mètres de profondeur. La ventilation d’un
tel système de galeries posait de grandes difficultés,
en particulier l’élimination des gaz d’explosion.
Il fallait en outre, prévoir de vastes salles de stockage des
munitions. Elles furent construites au pallier à 60 mètres
de profondeur. Les logements du personnel et les salles de stockage
étaient reliés par des galeries ; la circulation verticale
était assurée par des ascenseurs, ménagés
à l’intérieur de la colline.
Prés de 6000 coups par jour, avec des projectiles d’un
poids d’environ 140 kilogrammes, gargousses comprises , cela représentait
une consommation quotidienne d’environ 800 tonnes. On pensa faire
venir ces énormes approvisionnements par voie ferrée.
Il fallut pour cela établir un raccordement spécial à
la ligne Calais-Caffiers. Cette bretelle partait de Caffiers, passait
au sud de Landrethun-le-Nord, traversait par un tunnel la colline de
Mimoyecques, longeait le bois de l’Abbaye et rejoignait la ligne
principale à Pihen-les-Guines. Le tunnel se trouvait au palier
à 30 mètres de profondeur. Son entrée était
protégée par une porte d’acier contre les éclats
de bombes. Rien que durant le mois de juillet 1944, la gare de Caffiers
reçut 5.000 wagons, pour le site de Mimoyecques. Pour le cas
où l’approvisionnement par fer aurait été
interrompu, les munitions devaient arriver par camions. Ceux-ci seraient
rentrés dans le tunnel ferroviaire pour déchargement et
seraient sortis par la porte sud. Cette issue devait également
être protégée par une porte d’acier. On avait
prévu des dépôts de camion à Desvres, St.
Omer, Boulogne et Calais.
Sur le sommet de la colline, une meurtrière rectangulaire, formée
d’une gigantesque dalle de béton de cinq mètres
d’épaisseur dont l’embouchure devait être fermée
automatiquement par des portes d’acier fabriquées dans
les usines Krupp, de deux mètres quarante-cinq d’épaisseur.
L’installation devait se faire dans le plus grand secret et avait
reçu le nom de code « Wiese » (prairie). Ainsi, la
roche, à la sortie à l’air libre, était arrosée
d’un produit de camouflage vert. Les hommes qui travaillaient
à la surface avaient des vêtements de couleur vert foncé.
Et les mineurs arrivaient le matin, avant l’aube, dans des camions
et n’en repartaient, le soir, qu’après le coucher
du soleil.
Mais une telle animation sur le plateau de Mimoyecques ne pouvait passer
inaperçue…notamment de la Résistance française
qui en avisa l’Etat-Major Allié à Londres. A l’automne
1943, une ligne de meules de foin, cachant les cheminées d’aération,
alors que partout ailleurs le foin était rentré, confirmèrent
les renseignements reçus.
Dés le mois de novembre 1943, les premières bombes tombèrent,
hélas inutilement, transformant le secteur de Mimoyecques en
paysage lunaire. Les raids suivants rendirent les travaux difficiles
: pannes d’électricité, acheminement perturbé
des matériaux, …mais sans empêcher les Allemands
à 150 mètres sous terre, de poursuivre l’aménagement
des installations.
Le 6 juillet 1944, précédé depuis le matin d’une
préparation de bombardements qui anéantirent toute la
D.C.A., les 19 bombardiers de l’escadron Léonard Cheschire,
de la R.A.F, défilèrent les uns après les autres,
par un temps ensoleillé. 16 bombes « tremblement de terre
», de 5,4 tonnes chacune, furent lâchées sur le site,
dont 7 touchèrent l’ouvrage.
L’une de ces bombes pénétra dans une profondeur
de 28 mètres, trouva le tube incliné du canon, le descendit
et vint exploser dans la deuxième galerie où se trouvaient
plusieurs centaines de personnes (au moins six ou sept cents), qui périrent.
Des gaz remontèrent jusqu’à la première galerie
et furent tellement puissants que les Allemands crurent à la
première attaque par gaz de la guerre. Ceux qui en réchappèrent,
purent témoigner après la guerre et fournirent les mêmes
indications : les gaz, le souffle qui leur arracha leurs vêtements
et l’envahissement par l’eau, ( toutes les poches d’eau
de la colline étant crevées et communiquant les unes aux
autres ).
Les Allemands essayèrent de remettre l’ouvrage en état
mais ils y renoncèrent.
Toutes les bombes ayant fait des dégâts importants mais
explosé sous terre, l’observateur du bombardement indiqua
dans son rapport « effet nul » ». Aussi les Alliés
continuèrent-ils à bombarder l’ouvrage.
En août 1944, un planeur, bourré d’explosif, attaqua
l’ouvrage. Le planeur était accroché au-dessus d’un
bombardier mais celui-ci fut gêné par la D.C.A. de Saint-Inglevert
et de Marquise, et le planeur manqua son but de plusieurs centaines
de mètres ; l’explosion fut si forte qu’elle provoqua
la fuite de tous ceux qui travaillaient dans les champs à plusieurs
kilomètres à la ronde.
Le 12 août 1944 à 17 h 52, un avion Libérator PBLY
décollait de Becles, à une bonne centaine de kilomètres
au nord de Londres, avec douze tonnes d’explosifs Torpex, beaucoup
plus puissant que le TNT. Le plan de vol prévoyait le passage
au-dessus de Clacton-on-Sea et de Wissant. Le pilote et le navigateur
de bord devaient sauter en parachute peu avant Wissant, pour être
récupérés par les patrouilleurs de la Navy. Deux
avions Venturas devaient alors radio guider l’avion-projectile
sur sa cible de Mimoyecques.
Pour une raison inexpliquée, le Libérator explosa à
18 h 20 au-dessus du hameau de Blythburg, à cent soixante kilomètres
au nord-est de Londres. A son bord, Joé Kennedy, frère
aîné du Président Kennedy.
L’ouvrage fut bombardé une dernière fois le 27 août
1944, date à laquelle il fut enfin abandonné par les Allemands.
Le site avait alors reçu 11 000 bombes d’un poids total
de 14 500 tonnes, réparties sur 28 bombardements.
Les Canadiens s’en emparèrent le 5 septembre suivant, sans
savoir exactement sa nature. En février 1945, un rapport anglais
de la mission Sanders chargée d’examiner les sites des
armes V dans le Pas-de-Calais, concluait qu’il fallait détruire
complètement l’installation afin d’éviter
qu’elle ne serve à nouveau contre l’Angleterre. Lors
de 2 tentatives, le 9 mai et le 14 mai 1945, le Génie Britannique
fit sauter en partie la plate-forme de tir et obstrua l’entrée
et la sortie de la galerie principale. Il en restera là, considérant
que l’ouvrage coûterait aussi cher à remettre en
état qu’à construire.
Ouverte au public, cette forteresse constitue un remarquable cours d'histoire
; elle est aussi devenue un lieu de rencontre international pour honorer
les victimes encore ensevelies dans les étages inférieurs.