Mimoyecques, la base V3

 


En mai 1943, Hitler donna l'ordre de commencer les travaux d'une gigantesque base souterraine destinée à lancer une fusée baptisée V3 (V : Vergeltung (représailles), 3 car c’était la troisième génération de fusées de ce type).

Cette arme de la dernière chance, comme l'avait appelée le Führer, était destinée à détruire Londres et le sud de l’Angleterre afin d’empêcher le débarquement des troupes sur le littoral français.

 


Le V3 de 2,60 mètres de long pour un calibre de 152mm, avait une portée de 130 kilomètres et pouvait atteindre la vitesse incroyable de 1.500 m/s. Il était propulsé par un canon à haute pression fait de quarante sections (127 mètres de longueur) et de vingt-huit chambres à poudre réparties le long du tube. Les essais furent estimés comme un succès quoique le tube du canon éclatait une fois tous les trois coups.
Au début 1943, le « canon de Londres », qu’Hitler appelait la « pompe à haute pression » (ou HDP soit Hochdruckpumpe ), était fortement appuyé par le ministre Allemand de l’industrie et de l’armement, Albert Speer. C’est d’ailleurs lui qui conçut l’idée d’un bunker souterrain pour abriter jusqu’à 50 de ces canons sur la côte française du Pas-de-Calais. Même la cadence de tir était prévue : chaque canon devait tirer toutes les cinq minutes, soit prés de 600 projectiles par heure dès le milieu de 1944.


L’arme ne pouvait être installée que sur la partie de la côte qui s’avançait le plus en direction de l’Angleterre. Le site choisi devait être une colline arrondie de plus de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le terrain devait être constitué par une roche résistante. En outre, sa situation devait être propice en matière de transport.
Deux sites furent mis en chantier mais celui de Moyecques, plus à l’ouest, moins enterré, fut détruit dés les premiers bombardements et abandonné.
La construction de la base de Mimoyecques nécessita des travaux considérables et l'utilisation d'une main d’œuvre importante recrutée par les nazis au titre du travail obligatoire. Plusieurs milliers de déportés de 17 nations différentes (Juifs, Allemands condamnés de droit commun ou de droit militaire, Polonais, Espagnols, Italiens, Belges, Hollandais, Français, etc...) furent enrôlés de force dans le percement d'un tunnel de plus de 600 mètres et de cinq galeries latérales, sous la direction de 450 mineurs de la Rhur qui dirigeaient la conduite du chantier à plus de 100 mètres sous terre.
La partie essentielle de l’installation était constituée par les galeries inclinées. Quatre galeries furent construites dans une première étape. Il est probable qu’une cinquième galerie était prévue en réserve. Ces galeries étaient inclinées selon un angle de 51 degrés et mesuraient 150 mètres de longueur. Elles furent creusées en direction de l’objectif. En fait la direction de chaque galerie était légèrement différente, afin d’atteindre un front élargi. La dispersion très importante des projectiles non stabilisés suffisait largement à assurer l’effet recherché en profondeur et en largeur.
Les galeries inclinées mesuraient environ 2,50 mètres de large et 3 mètres de haut, voûte comprise, avec un sol disposé en escalier. C’est au milieu de la galerie que la rampe de tir devait être montée. Chaque galerie abritait six canons ; la puissance de feu assignée à l’installation était donc, dans une première étape, de 24 bouches à feu, ce qui représentait une puissance considérable.
Pour l’alimentation des canons, une plate-forme de chargement était prévue tous les trois ou cinq mètres. C’est là que devaient se tenir les équipes de servants. Leur tâche allait consister à charger en permanence les gargousses dans un ordre déterminé. Un téléphérique fixé à la voûte de chaque galerie était prévu pour le transport des charges.
Compte tenu de la longueur des tubes, il devait y avoir dans chaque galerie inclinée 30 ou 50 plate-forme de chargement. Avec quatre galeries, cela représentait donc 120 ou 200 plate-formes qui auraient été servies jour et nuit. Avec la relève cela représentait au minimum 500 servants. Venaient s’y ajouter les équipes de transport, la direction du tir et le personnel auxiliaire, ce qui aurait porté l’effectif total à un minimum de 1200 hommes.
Pour le personnel, de vastes locaux étaient prévus au palier à 30 mètres de profondeur. La ventilation d’un tel système de galeries posait de grandes difficultés, en particulier l’élimination des gaz d’explosion.
Il fallait en outre, prévoir de vastes salles de stockage des munitions. Elles furent construites au pallier à 60 mètres de profondeur. Les logements du personnel et les salles de stockage étaient reliés par des galeries ; la circulation verticale était assurée par des ascenseurs, ménagés à l’intérieur de la colline.
Prés de 6000 coups par jour, avec des projectiles d’un poids d’environ 140 kilogrammes, gargousses comprises , cela représentait une consommation quotidienne d’environ 800 tonnes. On pensa faire venir ces énormes approvisionnements par voie ferrée. Il fallut pour cela établir un raccordement spécial à la ligne Calais-Caffiers. Cette bretelle partait de Caffiers, passait au sud de Landrethun-le-Nord, traversait par un tunnel la colline de Mimoyecques, longeait le bois de l’Abbaye et rejoignait la ligne principale à Pihen-les-Guines. Le tunnel se trouvait au palier à 30 mètres de profondeur. Son entrée était protégée par une porte d’acier contre les éclats de bombes. Rien que durant le mois de juillet 1944, la gare de Caffiers reçut 5.000 wagons, pour le site de Mimoyecques. Pour le cas où l’approvisionnement par fer aurait été interrompu, les munitions devaient arriver par camions. Ceux-ci seraient rentrés dans le tunnel ferroviaire pour déchargement et seraient sortis par la porte sud. Cette issue devait également être protégée par une porte d’acier. On avait prévu des dépôts de camion à Desvres, St. Omer, Boulogne et Calais.
Sur le sommet de la colline, une meurtrière rectangulaire, formée d’une gigantesque dalle de béton de cinq mètres d’épaisseur dont l’embouchure devait être fermée automatiquement par des portes d’acier fabriquées dans les usines Krupp, de deux mètres quarante-cinq d’épaisseur.
L’installation devait se faire dans le plus grand secret et avait reçu le nom de code « Wiese » (prairie). Ainsi, la roche, à la sortie à l’air libre, était arrosée d’un produit de camouflage vert. Les hommes qui travaillaient à la surface avaient des vêtements de couleur vert foncé. Et les mineurs arrivaient le matin, avant l’aube, dans des camions et n’en repartaient, le soir, qu’après le coucher du soleil.
Mais une telle animation sur le plateau de Mimoyecques ne pouvait passer inaperçue…notamment de la Résistance française qui en avisa l’Etat-Major Allié à Londres. A l’automne 1943, une ligne de meules de foin, cachant les cheminées d’aération, alors que partout ailleurs le foin était rentré, confirmèrent les renseignements reçus.
Dés le mois de novembre 1943, les premières bombes tombèrent, hélas inutilement, transformant le secteur de Mimoyecques en paysage lunaire. Les raids suivants rendirent les travaux difficiles : pannes d’électricité, acheminement perturbé des matériaux, …mais sans empêcher les Allemands à 150 mètres sous terre, de poursuivre l’aménagement des installations.


Le 6 juillet 1944, précédé depuis le matin d’une préparation de bombardements qui anéantirent toute la D.C.A., les 19 bombardiers de l’escadron Léonard Cheschire, de la R.A.F, défilèrent les uns après les autres, par un temps ensoleillé. 16 bombes « tremblement de terre », de 5,4 tonnes chacune, furent lâchées sur le site, dont 7 touchèrent l’ouvrage.
L’une de ces bombes pénétra dans une profondeur de 28 mètres, trouva le tube incliné du canon, le descendit et vint exploser dans la deuxième galerie où se trouvaient plusieurs centaines de personnes (au moins six ou sept cents), qui périrent. Des gaz remontèrent jusqu’à la première galerie et furent tellement puissants que les Allemands crurent à la première attaque par gaz de la guerre. Ceux qui en réchappèrent, purent témoigner après la guerre et fournirent les mêmes indications : les gaz, le souffle qui leur arracha leurs vêtements et l’envahissement par l’eau, ( toutes les poches d’eau de la colline étant crevées et communiquant les unes aux autres ).
Les Allemands essayèrent de remettre l’ouvrage en état mais ils y renoncèrent.
Toutes les bombes ayant fait des dégâts importants mais explosé sous terre, l’observateur du bombardement indiqua dans son rapport « effet nul » ». Aussi les Alliés continuèrent-ils à bombarder l’ouvrage.
En août 1944, un planeur, bourré d’explosif, attaqua l’ouvrage. Le planeur était accroché au-dessus d’un bombardier mais celui-ci fut gêné par la D.C.A. de Saint-Inglevert et de Marquise, et le planeur manqua son but de plusieurs centaines de mètres ; l’explosion fut si forte qu’elle provoqua la fuite de tous ceux qui travaillaient dans les champs à plusieurs kilomètres à la ronde.
Le 12 août 1944 à 17 h 52, un avion Libérator PBLY décollait de Becles, à une bonne centaine de kilomètres au nord de Londres, avec douze tonnes d’explosifs Torpex, beaucoup plus puissant que le TNT. Le plan de vol prévoyait le passage au-dessus de Clacton-on-Sea et de Wissant. Le pilote et le navigateur de bord devaient sauter en parachute peu avant Wissant, pour être récupérés par les patrouilleurs de la Navy. Deux avions Venturas devaient alors radio guider l’avion-projectile sur sa cible de Mimoyecques.
Pour une raison inexpliquée, le Libérator explosa à 18 h 20 au-dessus du hameau de Blythburg, à cent soixante kilomètres au nord-est de Londres. A son bord, Joé Kennedy, frère aîné du Président Kennedy.


L’ouvrage fut bombardé une dernière fois le 27 août 1944, date à laquelle il fut enfin abandonné par les Allemands. Le site avait alors reçu 11 000 bombes d’un poids total de 14 500 tonnes, réparties sur 28 bombardements.
Les Canadiens s’en emparèrent le 5 septembre suivant, sans savoir exactement sa nature. En février 1945, un rapport anglais de la mission Sanders chargée d’examiner les sites des armes V dans le Pas-de-Calais, concluait qu’il fallait détruire complètement l’installation afin d’éviter qu’elle ne serve à nouveau contre l’Angleterre. Lors de 2 tentatives, le 9 mai et le 14 mai 1945, le Génie Britannique fit sauter en partie la plate-forme de tir et obstrua l’entrée et la sortie de la galerie principale. Il en restera là, considérant que l’ouvrage coûterait aussi cher à remettre en état qu’à construire.


Ouverte au public, cette forteresse constitue un remarquable cours d'histoire ; elle est aussi devenue un lieu de rencontre international pour honorer les victimes encore ensevelies dans les étages inférieurs.

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